La fabuleuse histoire de la règle d’or ou comment est né le sacro-saint ratio de 3% du PIB pour les déficits publics.
A l’origine, il s’agissait d’imposer la rigueur aux ministres socialistes. Puis, bien qu’elle fut dépourvue du moindre sens économique (c’est ce que l’on va voir), cette référence a fait école au point d’être retenue par le traité de Maastricht et qu’existe à présent un débat pour savoir s’il faut ou non inscrire ce ratio (devenu « règle d’or » !) dans la Constitution.
Outre que cela serait une violation de l’article 28 de la déclaration des droits de l’homme (Article 28. – Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.), voici quelques éléments de la fabuleuse histoire de la règle d’or. Nous les devons à Guy Abeille, qui fut chargé de mission au ministère des Finances d’abord sous Giscard puis sous Mitterrand (d’octobre 1977 à juin 1982) et s’en expliqua en octobre 2010 pour le journal La Tribune.
L’entrée en déficits et le seuil magique (presque chamanique) de 3% du PIB.
Le premier choc pétrolier se produit à l’automne 1973. La guerre du Kippour frappe l’économie mondiale, les prix quadruplent, c’est la fin des Trente Glorieuses, plane alors le spectre du déséquilibre extérieur et de l’inflation.
Giscard d’Estaing, qui est tout nouveau Président, y répond par le «refroidissement», c’est le plan Fourcade, qui se traduit par un excédent budgétaire. Le plan de relance Chirac qui le suit en prend le contrepied. Nous sommes en 1975, les finances publiques viennent d’entrer lourdement dans le rouge.
En 1976 c’est Raymond Barre qui passe aux manettes de l’économie. Il aimerait bien revenir à l’équilibre en bon père de famille mais Giscard ne veut voir que la nécessité électorale (la gauche passe à un cheveu de la victoire en 1978) et lui en impose autrement. Il faut dire que Giscard a le nez au vent et sait qu’il souffle de l’ouest, un vent très libéral qui ne va pas tarder à mettre en scène Thatcher et Reagan.
Ainsi, après le refroidissement Fourcade, l’austérité Barre (et montée du chômage), la relance Chirac, puis la libéralisation Barre, le déficit qui était tenu en 1976-77 en lisière des 25 milliards (nous sommes en francs), bondit en 1978 à 41 milliards de francs.
Et voilà que fin 1979 débute le second choc pétrolier.
Notons déjà que tous les budgets de Giscard (sauf le premier mais il n’y est pour rien) et de Barre auront été en déficit, pour des montants légèrement supérieurs à 1% du PIB. Si ce n’est que personne n’use de cette référence à cette époque-là, ce ratio est absent des esprits et n’a aucune existence. Jusque là on regarde le chiffre de la dette, pas son pourcentage par rapport au prix du kilo de pommes ou à l’âge du capitaine. Malgré ce, Giscard d’Estaing a une fixette : ne plus laisser le déficit franchir la ligne des 30 milliards de francs ; cela aurait à ses yeux une portée politique à laquelle il ne tient pas. D’ailleurs les deux budgets d’avant la gauche s’y tiennent, on reste à moins 31 milliards de francs en 1979 et en 1980.
Arrive 1981
Le budget est présenté comme ayant un déficit de 29 milliards de francs (manière de ne pas annoncer 30 –loi du commerce pour les gogos, un prix à 9,9 ce n’est quand même pas 10 !). Mais les élections approchent, ainsi que les contingences financières collatérales, et une saison de compétition électorale n’est guère propice à une gestion retenue des finances publiques.
Lorsque la gauche tient enfin sa victoire, la droite ne peut plus lui cacher que les 29 milliards proclamés sont en fait devenus 50 sous le libéralisme giscardo-barriste des chaleurs pré-électorales. Deux mois plus tard, la première loi de finances rectificative socialiste en prend acte, actualise le déficit à 55 milliards et Laurent Fabius (pourquoi lui ?) rend ce chiffre public.
Fin juin, reste à préparer le budget de l’année 1982, qui sera pour la gauche au pouvoir la première année de plein exercice. Et il apparaît assez vite qu’on se dirige bon train vers un déficit du budget initial 1982 qui franchira le seuil des 100 milliards de francs !
Ce qu’il faut réaliser à ce stade est que ce chiffre de 100 milliards était jusque là hors de portée mentale.

Une commande, un soir
C’est dans ces circonstances qu’un soir, tard, raconte Guy Abeille, le téléphone sonne. C’est Pierre Bilger (celui-là même qui fera carrière chez Alcatel), devenu n°2 de la Direction du Budget après avoir été directeur de cabinet de Maurice Papon. Abeille est convoqué ainsi que Roland de Villepin (cousin de Dominique), et Bilger les informe que le Président Mitterrand « a urgemment et personnellement demandé à disposer d’une règle, simple, utilitaire, mais marquée du chrême de l’expert, et par là sans appel, vitrifiante, qu’il aura beau jeu de brandir à la face des plus coriaces de ses visiteurs budgétivores. »
Urgemment et personnellement, ça veut dire qu’il faut faire vite. Personne n’a guère d’idée, et à vrai dire nulle théorie économique n’est là pour orienter la réflexion. Mais si Tonton a commandé, pas question de se défausser, et nos économistes posent donc, « d’un neurone perplexe, l’animal budgétaire sur la table de dissection ».
Ils évaluent les dépenses, leur volume, leur structure, avec dette ou sans dette, tentent des regroupements puis d’autres, mais rien ne semble pouvoir marquer l’arrêt des dépenses. Ils retournent l’animal côté recettes : impôts d’État, mais les impôts fluctuent avec la conjoncture, plusieurs sont décalés d’un an… Surtout ils ne peuvent échapper à l’attraction des prélèvements obligatoires, bref, la route des recettes est coupée et il ne reste qu’une voie : le déficit.
Un déficit, au moins, ça parle à tout le monde, du citoyen lambda jusqu’au Président normal. Être en déficit c’est être à court d’argent, tirer aujourd’hui un chèque qu’on remboursera demain. Et puis, en politique, au moins depuis Keynes, un déficit ne fait plus peur à personne, il est devenu une variable économique. That is the solution, un bon déficit ! Mais, c’est the hic et voilà qu’est l’os, à quelle contrainte le plier pour en extraire une norme ?
Le plus simple semble être cette bouée de sauvetage déjà bien connue : le PIB ! En économie, tout commence et s’achève avec le PIB. Dès qu’il y a de gros chiffres, il n’y a guère qu’à lui qu’on semble pouvoir raisonnablement se rapporter. Et donc on décide que ce sera le ratio « déficit sur PIB ».
Un critère douteux
Arrivé à ce point, une réflexion s’impose.
Il faut d’abord comprendre que le déficit est un solde, c’est à dire non pas une grandeur économique première, mais le résultat d’une opération entre deux grandeurs.
Tout le monde le savait ?
Alors tout le monde comprendra qu’un même déficit peut être obtenu par différence entre des masses dont l’ampleur est sans comparaison. 20 milliards sont aussi bien la différence entre 50 et 70 milliards qu’entre 700 et 720.
On comprendra donc que l’économie doive tenir compte de ce que la masse des dépenses et recettes publiques soit d’une ampleur des plus variables d’un pays à l’autre (35% du PIB des USA ou du Burkina-Faso ne sauraient représenter la même chose). De même faut-il considérer le contenu de chacune des masses : ce n’est pas la même chose de percevoir un volume de recettes avec une TVA à 10% et un impôt sur le revenu montant jusqu’à 75%, qu’avec une TVA à 20% et un impôt sur le revenu de 30%, par exemple. Sans compter que doivent se prendre en compte d’autres critères économiques selon que les dépenses peuvent inclure, toujours par exemple, 5% de subventions d’investissement dans un cas ou 20% dans un autre. On voit donc que considérer le seul montant d’un déficit en soi n’a qu’un sens très relatif.
Par ailleurs, tout le monde devrait avoir appris depuis l’école primaire qu’on ne peut diviser des choux par des carottes (sauf si on veut obtenir des charottes ou des cachoux). Et comme le déficit n’est rien d’autre qu’une dette, il est le chiffre exact de ce que la cigale doit emprunter tout de suite auprès de la fourmi prêteuse (si, si, monsieur de La Fontaine, certaines fourmis le sont, à usure), et qu’elle remboursera au fil des années suivantes.
Autrement dit, afficher un pourcentage de déficit par rapport au PIB d’une année donnée, c’est mettre en rapport des échéances à honorer dans les années futures avec la seule richesse produite en l’année origine. En cours de français on prendrait un zéro pointé pour non respect de la concordance des temps, mais là il s’agit d’économie et circulez, y a rien à voir. Lire la suite →