Le seuil de pauvreté (SP) est établi à 50 ou 60 % du revenu médian (l’Observatoire des inégalités rappelle régulièrement qu’il ne s’agit là que d’une convention : on pourrait aussi bien dire que la grande pauvreté c’est 30 ou 40%). Lorsque le revenu médian diminue, mathématiquement le seuil de pauvreté s’abaisse (c’est ce qui s’est passé entre 2011 et 2012). Sur la base d’un SP à 60 %, on comptait, en 2012, 8,6 millions de pauvres. On n’a pas les chiffres actualisés, mais on sait qu’en décembre 2014 le nombre de bénéficiaires du RSA socle se situait à 1,9 millions de foyers (soit une hausse de 12 % entre 2012 et 2014). Donc, si on affecte ce pourcentage au nombre de pauvres, on approche vraisemblablement les 10 millions de pauvres en France aujourd’hui.
On peut compléter ce triste tableau ainsi :
– 700 000 personnes sans domicile personnel, dont 400 000 obligées d’habiter chez des tiers et 140 000 SDF (dont 10 000 dormant dans la rue),
– 4 millions de personnes vivent avec de très faibles revenus (bien en dessous du seuil de pauvreté) dans l’un des pays les plus riches du monde,
– mais 6 millions de personnes vivent dans des foyers avec plus de 39200 € par an (3200 pour un célibataire, 4800 pour un couple),
– 15 900 avec 500 000 € par an (chiffre qui a doublé depuis 2004),
– le revenu annuel d’un grand patron : entre 400 et 1110 années de Smic,
– la fortune des 500 plus riches s’élève à 390 Mds€ (+ 15 % en un an) : 67 milliardaires (soit 12 de plus en un an).
Ce qui conduit les rapporteurs à écrire : « Visiblement, ni la crise, ni la politique fiscale n’entament la progression des grandes fortunes. »
C’est pourquoi nous relançons le dossier-débat sur le revenu de base (ou salaire universel, selon les défenseurs). Car il ne faut pas rêver : l’inversion de la courbe du chômage est une de ces promesses qui n’engagent que ceux qui y croient. Outre une étude qui démontre que 40% des jobs actuels sont parfaitement inutiles à une société efficace, l’avancée fulgurante des technologies et de l’intelligence artificielle promet bien d’autres suppressions d’emplois à très court terme. Du boulot pour tous, c’est terminé, sauf à taxer et imposer proportionnellement toute machine ou robot qui remplace un humain, ou sauf à considérer qu’il y a mille et une manières pour tout un chacun d’apporter sa pierre de plus-value à la société, et que cela nécessite de reconsidérer la notion même de travail. Peut-on vivre, par exemple et pour ne citer que ceux-là, sans les artistes de tous crins, sans les millions de bénévoles qui œuvrent au quotidien via des associations de secours humanitaire, d’entraide, d’alphabétisation, etc. ? Pourquoi ceux qui aident au maintien de la dignité humaine n’auraient-ils pas le droit de vivre dignement de leur apport ? C’est en tout cas un des éléments qui doit permettre de maintenir le débat ouvert.
Où en sommes-nous sur le sujet ? Derniers points relevés dans la presse :
Une somme fixe d’argent, versée à chaque citoyen, salarié ou pas, de manière automatique, pour mieux accompagner les mutations du monde du travail ? Des expérimentations – encore floues – sont annoncées en Finlande ou aux Pays-Bas. L’Aquitaine veut y réfléchir. Le vieux débat sur le revenu de base reprend de plus belle.
En Suisse, un référendum est censé avoir lieu sur le sujet, sans doute en 2016, après le dépôt à Berne de 126 000 signatures exigeant la tenue de cette consultation. En Espagne, la promesse figure, parfois, parmi les revendications du mouvement anti-austérité Podemos. Aux Pays-Bas, la ville d’Utrecht va lancer une expérimentation à partir de janvier 2016, sur un groupe d’environ 300 personnes (on parle d’un forfait de 900 euros par mois pour un adulte, 1 300 pour un couple).
Les défenseurs du revenu de base avaient déjà fait parler d’eux en janvier 2014. Ils avaient alors récolté, à travers toute l’Europe, 285 000 signatures de citoyens qui s’étaient déclarés favorables à un « revenu de base inconditionnel ». L’opération n’avait pas suffi à enclencher une dynamique au sein de l’Union. Il aurait fallu beaucoup plus – rassembler un million de noms en l’espace d’un an – pour contraindre la commission de Bruxelles à s’emparer de ce dossier, souvent qualifié de totalement utopique par ses adversaires.
De quoi parle-t-on ? Voilà l’idée générale, qui a rarement dépassé le stade de la micro-expérimentation à travers le monde (sauf quelques exceptions comme l’Alaska) : un revenu fixe, versé à n’importe quel citoyen jusqu’à sa mort, sans aucune condition ou contrepartie (« inconditionnel, universel et forfaitaire », disent les économistes). Qu’on soit riche ou pauvre, avec ou sans emploi, seul ou en ménage, tout le monde touche la même somme. Dans la pratique, il existe des dizaines de manières d’imaginer et de financer cette garantie, théorisée par des économistes de droite (Milton Friedman et son « impôt négatif ») comme des penseurs de gauche (André Gorz et son « revenu d’existence »), des néolibéraux comme des anticapitalistes, et défendue, chez les politiques français, tout à la fois par José Bové et Christine Boutin.
Articles précédents proposés par Sémaphores pour un tour plus exhaustif du sujet (on peut notamment y retrouver le lien vers la pétition européenne, celle qui n’a recueilli à ce jour que 285 000 signatures, soit seulement le quart du million nécessaire pour qu’elle puisse être débattue par le conseil européen) :
http://semaphores.info/2014/01/dossier-revenu-de-base-inconditionnel/
http://semaphores.info/2013/08/revenu-de-base-inconditionnel-et-monnaies-complementaires/
http://semaphores.info/2013/06/reseau-salariat-yes-we-can/