Billet d’humeur et d’humour
On ne saluera jamais assez le travail remarquable des fonctionnaires européens qui ont à charge de coucher noir sur blanc les normes communautaires. Et tant pis si la récente directive de limiter la contenance des chasses d’eau à 6 litres et la demi-chasse à 3 litres fait râler la perfide Albion, elle qui aurait préféré que ce fût 4 litres pour n’avoir pas à changer tous ses blocs sanitaires. Il y aura toujours des râleurs, mais faut pourtant que certains se collent à définir les normes de notre espace communautaire.
On se souviendra, par exemple, du feuilleton des essuie-glaces de tracteurs agricoles.
Déjà en 1997, un rapport du Sénat avait cité quelques perles se référant à la directive relative aux essuie-glaces des tracteurs agricoles ou forestiers à roues selon laquelle : « si le tracteur est muni d’un pare-brise, il doit également être équipé d’un ou plusieurs essuie-glaces actionnés par un moteur. Leur champ d’action doit assurer une vision nette vers l’avant correspondant à une corde de l’hémicycle d’au moins 8 mètres à l’intérieur du secteur de vision ».
C’est ben vrai, ça ! Tout bon agriculteur, même s’il n’est pas au niveau Bac+3, devrait comprendre que lorsqu’il est assis sur son tracteur à roues (et non pas sur son bœuf ou son cheval, qui sont des tracteurs à pattes) ledit agriculteur doit avoir une vision vers l’avant au moins égale à une corde d’hémicycle de 8 mètres dans son secteur de vision. Très important, la vision ! Quand on veut bien cultiver son champ, il faut d’abord être au point avec le champ de vision. Et donc, autre exemple, être sûr d’avoir bien calé son rétroviseur. C’est pourquoi il existe une autre directive européenne relative aux rétroviseurs des tracteurs agricoles ou forestiers à roues (ça ne s’applique donc pas aux tracteurs à chenilles), selon laquelle
« le rétroviseur extérieur doit être placé de manière à permettre au conducteur, assis sur son siège dans la position normale de conduite, de surveiller la portion de route définie au point 2.5 », ledit point disposant que « le champ de vision du rétroviseur extérieur gauche doit être tel que le conducteur puisse voir vers l’arrière au moins une portion de route plane jusqu’à l’horizon, située à gauche du plan parallèle au plan vertical longitudinal médian tangent à l’extrémité gauche de la largeur hors tout du tracteur isolé ou de l’ensemble tracteur-remorque » !
Ah oui, pour le rétro c’est plus complexe que pour les essuie-glaces, et il aurait fallu pouvoir continuer jusqu’à Bac+5. D’ailleurs ça permettrait de se lancer dans la culture des bananes, ce qui est très technique comme chacun sait, car on ne transige pas sur la qualité de la banane. Le règlement de la Commission du 16 septembre 1994 définit les qualités que doivent présenter les bananes vertes non mûries après conditionnement et emballage.
Les bananes doivent être vertes, entières, fermes, saines, propres, pratiquement exemptes de parasites et d’attaques de parasites, à pédoncule intact sans pliure ni attaque fongique et sans dessication, épistillées, exemptes de malformations et de courbure anormale des doigts, pratiquement exemptes de meurtrissures et de dommages dus à de basses températures, exemptes d’humidité extérieure anormale, d’odeurs et/ou de saveurs étrangères, les mains et les bouquets devant comporter une portion suffisante de coussinet de coloration normale, saine, sans contamination fongique, et une coupe de coussinet nette, non biseautée, sans trace d’arrachement et sans fragment de hampe.
Remarquez que si vous ne vous sentez pas d’épistiller vos bananes (désolé pour l’explication, mais on n’a pas trouvé le mot dans le Robert ni le Larousse), vous pouvez vous reporter sur le calibrage. Très important le calibrage de la banane ! Figurez-vous qu’il se trouve déterminé par
« la longueur du fruit, exprimée en centimètres et mesurée le long de la face convexe, depuis le point d’insertion du pédoncule sur le coussinet jusqu’à l’apex, le grade, c’est-à-dire la mesure, exprimée en millimètres, de l’épaisseur d’une section transversale du fruit pratiquée entre ses faces latérales et son milieu, perpendiculairement à l’axe longitudinal. Le fruit de référence servant à la mesure de la longueur et du grade est le doigt médian situé sur la rangée extérieure de la main, le doigt situé à côté de la coupe, qui a servi à sectionner la main, sur la rangée extérieure du bouquet. La longueur et le grade minimaux sont respectivement fixés à 14 cm et 27 mm ».
C’est technique, on vous avait prévenu. Cependant, si vous en avez assez de vous faire mettre la banane là où l’on pense, essayez le concombre. C’est plus facile le concombre :
Le poids minimal des concombres cultivés en plein air est fixé à 180 grammes et celui des concombres cultivés sous abri à 250 grammes. La longueur minimale de certains concombres (excluons ici les concombres de mer qui entrent dans une autre catégorie) doit être égale à 25 ou 30 cm suivant leur poids. Mais attention…
« La différence de poids entre la pièce la plus lourde et la pièce la plus légère contenues dans un même colis ne doit pas excéder 100 grammes lorsque la pièce la plus légère pèse entre 180 et 400 grammes, et 150 grammes lorsque la pièce la plus légère pèse au moins 400 grammes » !
Puisque vous avez été gentils de lire cet article jusque-là, on va vous épargner pour aujourd’hui la directive concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au matériel électrique utilisable en atmosphère explosible des mines grisouteuses. Sachez cependant qu’elle existe parmi des centaines d’autres et que nul n’est censé ignorer la règlementation. C’est bien pourquoi nous proposons qu’une prochaine directive de la commission vienne règlementer l’utilisation des neurones des parlementaires normatifs. Ne serait-ce que pour cela, ça vaut le coup d’aller bousculer la fourmilière dimanche 25 mai 2014.
Cessons de veauter, votons !
Et que notre foi résiste à scie rose et à la peste brune !